L'apprentissage est suspendu à la motivation ?
"L'apprentissage est littéralement suspendu à la motivation"
Combien de fois ai - je entendu ce petit air, presque dogmatisé aujourd'hui, cité à tout va, comme un doux refrain qui berce tendrement notre enfance ...mon enfance en tous cas ! Une enfance de
future enseignante présumée, sans doutes ?
Je ne pensais pas que cette petite déclarative me poursuivrait, me hanterait du jour où mon enseignant d'époux l'écrirait sur sa copie de CAPEPS, voire d'Agregation, à ce jour où moi même je la
rédige, persuadée de sa valeur toute puissante.
Et bien oui, je me suis bien moquée de cette banalité énoncée, je le regrette aujourd'hui car je suis forcée de la vivre dans mon métier et non plus de la constater.
Pour ma peine, je suis allée relire quelques conceptions didactiques et pédagogiques, que je suis incapable de synthétiser tant elles sont intéressantes. Dommage chers lecteurs, il faut s'y
replonger en intégralité, comme on prenait plaisir à le faire à l'Université, au temps où nous avions encore du temps pour badiner avec les pontes (cf. Piaget, Wallon, Meirieux, Lobrot ...).
"L'apprentissage est résolument suspendu aux besoins et aux motivations des individus"
V] APPRENTISSAGE ET AFFECTIVITE :
Toute information est essentiellement une question de relations humaines, or toujours et
d’emblée, la relation humaine est affective. L’affectivité est le moteur de l’action motrice, mais
n’intervient pas pour la structurer. Piaget poursuit : « nous dirons donc simplement que chaque
conduite motrice suppose un aspect énergétique ou affectif et un aspect cognitif ». Les vies affective et
cognitive sont pour lui inséparables.
« Je ne peux rien lui enseigner, il ne m’aime pas », cette phrase du philosophe Socrate, illustre bien
toute l’importance de l’affectivité et de la relation interpersonnelle qui doit s’installer pour mener à
bien le processus d’apprentissage. Au ministère de l’Education Nationale, il y a à peu près 11 millions
d’élèves pour 1 million de fonctionnaires. Dans cet univers humain, les relations affectives entre
individus sont aussi nombreuses qu’ignorées. L’élève a souvent été considéré comme un objet à
instruire que l’on remplit d’un savoir. Il n’y a pas très longtemps que nous le considérons comme un
individu à part entière, ayant sa propre identité, et non plus comme un adulte en miniature. Pourtant,
l’école cherche à évincer les sentiments, car ils sont intangibles et donc in évaluables. A tel point que
l’on considère, d’ailleurs, comme étant adulte, l’individu qui agit plus avec sa raison qu’avec son
coeur, tandis que l’on regarde avec une bienveillance condescendance, l’adolescent qui s’emballe et se
passionne. L’enseignant en général et d’EPS en particulier doit-il faire passer ce modèle véhiculé par la
société et évincer les sentiments dans l’acte éducatif ?
Comme le pense Thorndike, dans sa loi de l’effet que nous avons déjà énoncée,
l’apprentissage est résolument suspendu aux besoins et aux motivations de l’individu. On apprend en
effet, beaucoup plus facilement quand on a projet, une envie, un but. Les nouveaux textes de l’EPS
appuient justement sur cette notion de projet collectif et/ou individuel, dans les apprentissages liés à
notre discipline, ce qui n’est sûrement pas une coïncidence fortuite. J. LeBoulch, dans un de ses
ouvrages, écrit justement que l’apprentissage est fonction des besoins physiques et sociaux du milieu
qui nous entoure...
VI] AFFECTIVITE ET CONCEPTION PEDAGOGIQUE :
Notre système d’enseignement est un modèle d’organisation bureaucratique avec son cortège
d’examens, de programmes, de finalités, d’objectifs et de buts, où l’affectivité n’a pas cours. Certains
professeurs, essaient de tenir compte intuitivement de la dimension affective, et pensent que l’aversion
d’une discipline par un élève tient souvent au fait de la mauvaise entente entre le professeur de ladite
matière et cet élève ; ou encore, qu’une classe avec un bon climat «tourne mieux» qu’une classe où les
élèves s’entendent mal. Pourtant, il faut le reconnaître sans les en blâmer, c’est davantage aux examens
et à leur programme qu’ils songent. Ainsi, cet enseignement qui prône justement le développement
total de l’individu, ignore l’être humain dans son unité affective, motrice et mentale.
L’étude de J. Marsenach (Biblio 2) (Connaissances Annexes 3), nous montre comment le rapport
affectivité/relation pédagogique a évolué à travers le temps. Ce rapport est passé du néant le plus total
(début du XXème siècle), avec un professeur qui dirige tout sans aucun état d’âme, à la simple
reconnaissance de la dimension affective, sans réels amendements dans les années 60, comme s’il se
sentait impuissant face à l’utilisation de cette nouvelle facette éducative et lui préférait la notion de
performance, pour finir à partir des années 80, par une prise en compte de l’affectivité dans les
apprentissages par certains pédagogues privilégiant un dialogue permanent entre les deux parties
prenantes de l’acte éducatif (enseignant/enseigné), pour le choix des objectifs, des situations et des
activités dispensées.
Le triangle pédagogique, apprenant-savoir-formateur, doit se structurer de manière à mettre en place
des situations d’apprentissage d’où doit naître le désir chez l’élève. Désir d’essayer, de réussir, en bref
d’apprendre. Là encore, nous voyons l’importance que l’affectivité entretient avec l’apprentissage. En
effet, l’apprentissage prend appui indubitablement sur la relation pédagogique. Et qui dit relation entre
deux êtres humains, dit obligatoirement phénomènes affectifs. Il est en effet très difficile de faire
totalement abstraction de l’affectivité, d’abord parce que ce choix, serait lui-même un choix affectif,
venu de l’inquiétude de ne pouvoir exercer son pouvoir sur l’élève, d’autre part parce que n’importe
quel apprentissage ne peut se passer du désir qui lui donne vie et force, enfin parce que les
phénomènes affectifs sous la forme de l’identification et de la séduction sont inhérents à la personne
humaine. Chacun sait que la volonté de séduire est très prégnante chez les enseignants, et que si un
élève sort séduit de son cours, alors il a accompli sa mission éducative. Il faut en effet faire fi des
styles pédagogiques qui boudent la notion de plaisir sous prétexte qu’un tel apprentissage serait
assimilé à du jeu ou à de la démagogie. On peut éprouver du plaisir dans la difficulté, et c’est cela au
contraire qui nous fait progresser. C’est l’élève capable de ce plaisir là qui réussira à l’école.
L’activité pédagogique se rapproche du phénomène affectif dans ce qu’elle a d’inexplicable,
d’explosif, de soudaine et d’indescriptible. Le plus simple serait évidemment d’ignorer le désir. Le
professeur enseignerait sans se soucier de ce que l’élève veut, recherche, désire. Mais cette décision, au
lieu d’anhiler toute réalité affective produit l’effet inverse, car ne viendront alors au savoir que les
élèves qui, précisément, le savent désirable, au point de lui sacrifier des intérêts plus immédiats pour
eux et le plus souvent moins scolaires. Cette pédagogie de type directif a eu son apogée à la fin du
siècle dernier et au début de ce siècle, avec les bataillons scolaires et la pédagogie directive.
Ceux qui entendent au contraire respecter totalement le désir de l’élève dans l’acte pédagogique, au
nom du vieil adage selon lequel « les goûts et les couleurs ne se discutent pas », pensent que la tâche
de l’éducateur est d’attendre que le désir émerge pour se mettre à son service. Nous faisons allusion ici
à la pédagogie non-directive qu’A.S Neil a prôné dans son école de Summerhill (Connaissance
Annexes 4) (Biblio 3). Il ne voulait pas entraver la spontanéité de l’enfant, ni contrarier ce qu’il a de
naturel en lui. Cependant, chacun sait intuitivement que cette position est impossible à tenir. La mettre
en application reviendrait à renoncer au projet même d‘éduquer, à postuler que l’Education est un
processus naturel dans lequel le professeur doit simplement fournir les objets culturels. Souligner la
place omnipotente du désir et donc de l’affectivité dans l’apprentissage ne peut signifier la
subordination de tout apprentissage aux désirs déjà existants qu’au prix d’une simplification
inacceptable pour l’éducateur. L’éducation ne peut donc ni proposer du savoir sans tenir compte de
l’affectivité des individus, ni sacraliser leurs désirs pour leur asservir tout savoir.
L’éducation doit être considérée comme une fin, et l’enseignement comme un moyen d’y parvenir.
Pour cela, l’enseignant ne doit plus se centrer sur lui-même, son programme, ses notes, ses examens,
mais sur l’apprenant, qui est mis au centre du dispositif éducatif (cf. I.O de 1985/86). L’utilisation de
la pédagogie différenciée, des groupes de besoins, plus encore que des groupes de niveaux, le travail
par ateliers, l’acceptation du dialogue et la remise en cause de son enseignement semblent être des
principes permettant la prise en compte de l’affectivité de chacun à l’intérieur du cours d’EPS. Les
principes et attitudes décrits par Rodgers, d’authenticité, de congruence et d’empathie facilitatrice de
l’apprentissage correspondent à l’utilisation et à la compréhension des affects dans le processus
didactique.
L’accès à la culture comporte bien « cette joie spécifique » dont parle Snyders (Biblio 4).
Mais le traitement pédagogique de cette thèse, est loin d’être simple à réaliser. Il s’agit de se greffer sur
le désir existant chez l’élève, pour lui ouvrir de nouveaux horizons éducatifs, et lui faire naître un
nouveau désir plus culturel celui-là : apprendre à apprendre. En pratique, cela se révèle plus
compliqué, d’une part parce que toutes les disciplines scolaires ne se prêtent pas toujours aussi
facilement à l’émergence d’un désir quelconque chez les élèves. Il faut en effet, à l’enseignant
déployer tout son savoir pédagogique pour y parvenir. D’autre part, parce que quand on y parvient
enfin, les désillusions sont souvent à la mesure des espérances. On se console toutefois en se disant
qu’en contraignant ainsi l’élève à faire quelque chose qu’il n’aurait pas engagé de lui-même, on a pu
lui faire découvrir un champ culturel nouveau et espérer qu’il y prendra goût….
Cette position un peu brutale parfois ou qui semble s’auto satisfaire de ce qu’elle est, a le mérite
d’indiquer une direction d’une façon nette et précise : celle qui consiste ni à ignorer les affects, ni à les
sacraliser, ni à les dévoyer, ni à les monnayer, mais plutôt à créer les conditions de leur
émergence. Aucun désir ne peut naître du vide et si on ne l’articule pas à ce qui est déjà présent chez
l’enfant, il n’a guère de chance de surgir de lui-même.
Le paradoxe du désir teint, à ce que l’objet désiré doit être à la fois connu et inconnu. Il faut pouvoir en
deviner les contours sans l’embrasser tout entier. Le rôle du maître est bien de faire émerger ce désir
d’apprendre, de « créer l’énigme » comme le dit P. Meirieu (Biblio 6). Tout l’art du pédagogue réside
dans le fait d’en montrer suffisamment à l’élève pour lui permettre d’entrevoir l’intérêt qu’il aurait de
persévérer dans sa quête, sans dévoiler toutefois le secret de l’énigme, pour laisser cet acte à l’élève
lui-même. Nous ne rendons en effet, pas service aux apprenants si nous leur dévoilons tout et tout de
suite. Il ne faut pas les priver de ce temps de recherche nécessaire à la formation de leur apprentissage
personnel, garant d’une fixation interne à long terme, d’une flexibilité et d’une transversalité. En
pédagogie, il faut toujours en dire trop et pas assez. Nous soulevons ici, l’intérêt des situationsproblèmes
dont parle notamment JP Famose (Biblio 5), situations à la fois accessibles et difficiles pour
l’élève. C’est en effet quand l’élève entrevoit une hypothèse de réussite, sans y parvenir
immédiatement ni trop facilement, que l’énigme s’installe, et qu’elle va devenir le vecteur de son
implication dans la tâche à accomplir, dans le secret à trouver : « le désir naît alors de la
reconnaissance d’un espace à investir » Meirieu (Biblio 6).
Malheureusement, il existe des mystères qui n’enthousiasment guère les élèves, parmi l’ensemble des
apprentissages que les pédagogues proposent. L’énigme meurt quand personne n’est là pour témoigner
du plaisir que l’on peut trouver à tenter de la résoudre, quand l’adulte n’incarne pas le plaisir de savoir,
le bonheur de chercher. Là encore, nous voyons combien la présence des affects, de l’élève mais aussi
et surtout de l’enseignant prend une place incontournable dans le processus d’apprentissage. Il s’agit là
d’une présence intangible mais ô combien nécessaire. Nous ne devons ni ne pouvons évincer sans
danger l’affectivité dans le triptyque pédagogique.
L’homme est heureux là où il crée, où il ressent les choses et là où il peut communiquer. La
véritable pédagogie comme l’a montré Gusdorf (Biblio 7) est toujours une forme secrète d’amitié, où
l’affectivité et l’émotion tiennent une place prépondérante. Il faut cesser de voir dans l’homme un
objet de rendement au service d’une surproduction entraînant une surconsommation, pour voir en lui le
sujet de son propre bonheur et de celui des autres. L’enseignant est donc confronté, à travers ce
problème de l’affectivité à un choix philosophique fondamental.
VII] EMOTION ET MOTIVATION :
Elles font toutes les deux parties du domaine affectif. Ce sont des sensations que l’on ressent
et que l’on cherche plus ou moins à développer en fonction de l’apprentissage que l’on recherche. On
sait que la simple répétition d’un apprentissage ne garantit pas ipso facto le progrès. La
tonalité affective qui accompagne l’acte est importante. L’acquisition des habiletés motrices est
favorisée par la satisfaction ressentie quand le mouvement correct est effectué et par le déplaisir
éprouvé lors de mouvements incorrects. Si le sujet n’est pas intéressé, s’il ne se souci pas du résultat,
celui-ci ne réalisera que très peu de progrès. Ainsi, une pratique sans motivation est totalement
inefficace, car les habiletés motrices complexes ne sont apprises qu’avec un effort et une attention
soutenue de la part de l’élève. Il est donc nécessaire d’éviter les premières impressions décevantes lors
d’un apprentissage en ciblant rapidement les capacités de ses élèves, et en les faisant travailler à leurs
niveaux. Ceci décuplera leur motivation à l’égard de la compétence à acquérir. C’est ce que Linda
Allal appelle le décalage optimal (Lexique 2) et (Biblio 8). La façon d’aborder l’activité avec un enfant
est donc primordiale, et dépendra avant tout de son âge, de son degré de maturation physiologique et
psychologique et donc aussi de l’état de ses affects.
L’effet pur de la motivation a été mis en évidence par Schwab (Connaissances Annexes 5) ; Mais les
conditions qui peuvent motiver un individu sont très variées. Certaines pulsions comme la faim et la
soif sont innées et inconscientes. Dans la société moderne, les objectifs matériels prennent de plus en
plus d’importance. Mais un état affectif, le plaisir, semble tenir une grande place chez le jeune dans la
l’acquisition d’un apprentissage quelconque et d’une habileté motrice en particulier.
Comme l’écrit L. D’Hainault (Biblio 9) : « le baromètre de tout pédagogue n’est-il pas le rire et le
plaisir de l’élève ? ».